La mascarade budgétaire (2)

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A toujours creuser plus profond

La tromperie généralisée, pour ne pas dire l’escroquerie d’Etat, qui a fourvoyé les citoyens dans le leurre d’une économie en bonne santé, a pour acronyme PIB. A l’origine, cette valeur de la macroéconomie rendait compte de la capacité de production d’un pays, partant du principe que la dite production commercialisée, à plus ou moins court terme, assurait la richesse, et par-là, la prospérité nationale. Cet indicateur avait d’autant plus de sens qu’il renvoyait à la base logique de toute économie, l’optimisation de la transformation de l’énergie -mobilisable sous toutes ses formes, diverses et variées – en valeur marchande.

Sous les heureux auspices de la fameuse main invisible des marchés, les économies occidentales, sous l’impulsion des Etats-Unis d’Amérique et la servilité des gouvernants européens, prirent le virage de la désindustrialisation, en favorisant la délocalisation des productions primaires dans les pays en voie de développement, donc à moindre coût de main d’œuvre, au Maghreb, en Asie et dans le sous-continent indien notamment. Il ne fallut pas longtemps pour que les crânes d’œuf de la gouvernance française comprennent que l’indice mesurant la production (et donc la création de richesse), ainsi que, sur une base 100, la variation d’une année sur l’autre de la ladite richesse, avait du plomb dans l’aile. Pour conserver l’illusion de la continuité dans une transparence résolument fallacieuse, ils conservèrent l’acronyme « PIB » en l’état, tout en le vidant de sa substance objective. C’est ainsi que  « production » devint « produit ». Et ce raccourcissement, insignifiant au premier abord, changea tout. Car l’indicateur ne rendait plus compte de la capacité à générer de la richesse ; il ne faisait que  pointer du doigt la dérive consumériste de notre société, résolument tournée vers la production de services et le temps des loisirs à crédit.

Comme la pagination de ce blog, mon propos manque d’illustrations pour être plus accessible ? Qu’à cela ne tienne, prenons quelques exemples tirés de l’économie quotidienne

(Pour les photos sympas, on verra plus tard !).

  • Jean Dubois est artisan menuisier. Il vient de réaliser la pose d’une commande, à savoir une cuisine aménagée. Coûts des matériaux et amortissement de matériels déduits, il retire 1.000 euros de l’opération (le montant n’est pas réaliste, j’en conviens – cela dit, je n’ai pas dit que la cuisine était grande ; ça c’est le fruit de votre imagination fertile ! – mais bon, autant choisir un chiffre rond, sans les petits patapons). Sa contribution à la Production Intérieure Brute du pays est donc de 1.000 euros. En effet, on peut dire que, grâce à l’énergie qu’il a mis dans son travail, il a généré une richesse productive ex nihilo. Mais qu’en est-il de sa contribution au Produit Intérieur Brut. Pour le savoir, il faut aussi s’intéresser à ce qui va advenir de cette somme qui n’est pas destinée – malheureusement pour Jean – à demeurer sur son compte professionnel pour faire des petits sous. Car il lui faut payer le cabinet comptable qui assure la gestion de sa petite entreprise individuelle ; il lui faut utiliser cette somme pour partie afin d’acquitter le loyer de son atelier, le leasing de son fourgon, les assurances diverses etc… (et je ne parle évidemment pas des charges personnelles à payer, bien entendu). Disons qu’au final, il lui restera 300 euros de revenu (« son salaire » pour le prix de cette cuisine) qu’il transférera sur son compte privé pour assurer ses dépenses personnelles courantes. Le PIB que vous connaissez, pour en entendre parler tous les jours par de doctes intervenants de plateaux radiotélévisés, établit qu’au final la cuisine aménagée aura dégagé une « richesse » de 1.700 euros, les 1.000 de départ et les 700 redistribués à droite et à gauche puisqu’ils concourent à la consommation de biens marchands. Vous comprenez dès lors qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Bercy puisqu’on y fait état de 700 euros de richesse fictive extrapolée à la véritable production « brute ».
  • Autre exemple : Otto Meyer est salarié de l’usine Peugeot de Sochaux. Son salaire est supposé rendre compte de la quote-part de son travail dans les résultats du Lion ; en cela, on peut dire que c’est un indicateur de la richesse qu’il produit mensuellement à son niveau. Primes comprises, il gagne 2.000 euros. Sa participation à la Production Intérieure Brute est donc de 2.000 euros, puisque, sans sa part d’activité, il y aurait moins de voitures produites, donc moins à vendre et moins de richesse générée. Comme beaucoup de français, Otto paie son loyer – 600 euros à un propriétaire privé ; il fait ses courses à Leclerc et Super U pour un caddie mensuel de 500 euros ; il acquitte consciencieusement ses factures d’eau, de gaz, d’électricité, de téléphone… Et j’en passe… (c’est une expression, rien à voir avec le Jean précédent. De toute façon Dubois et Meyer vivent dans deux régions différentes, alors il n’y a aucune raison qu’ils se croisent) Toutes ces dépenses, peu ou prou, vont entrer dans le calcul du fameux Produit Intérieur Brut, via la « production » rapportée des acteurs économiques susmentionnés. Cette ventilation de la richesse primaire génère mécaniquement un total bien supérieur aux 2.000 euros de départ.
  • Dernier exemple : Adeline Bureau est professeur des écoles… Oops, vite une parenthèse !

(Hé oui, je suis de la vieille école justement, celle qui, maîtrisant le genre neutre, ne rentre pas dans l’horripilante logique i.e.l. Pour l’homme blanc non déconstruit de plus de cinquante ans que je suis, (une vraie plaie, je sais !) la nécessaire égalité de traitement femme / homme passe par des réformes autrement plus capitales que la maltraitance faite à notre langue nationale par des personnes qui n’en connaissent manifestement ni les racines, ni le bon usage. Et il ne fait pas de doute que j’aurai prochainement l’occasion de disserter plus longuement sur le sujet pour que vive un débat autour de la cause féminine que je souhaite éclairant et constructif.)

Donc Adeline fait un métier noble et utile à la société. Elle est un maillon indispensable dans la vie de la nation, comme nombre d’agents du service public. Pour autant, elle ne peut pas être considérée comme la productrice d’une richesse intrinsèque. Sans vouloir lui faire offense ! Dans les faits, elle est une bénéficiaire directe d’une richesse générée par d’autres. Pourtant, son traitement de fonctionnaire va, lui aussi, intégrer le calcul du PIB « nouveau ». Tout simplement parce que sa consommation personnelle, c’est-à-dire son interaction avec le secteur marchand au sens le plus large, va intégrer l’indice de manière créer une « richesse » à partir d’une « charge » ! Il n’y a pas que sur le Vieux port, peuchère, qu’elle est plus belle  la vie ! A Bercy, aussi.          

Vous me direz : « et alors ?! La belle affaire ! Pourquoi en faire tout un plat ? » Simplement parce que  les milliers de milliards de dettes accumulées au cours des cinquante dernières années viennent précisément de cette fraude intellectuelle ! Et si nous croulons collectivement sous une montagne de déficits, c’est parce qu’une société ne peut éternellement dépenser une richesse qu’elle ne produit plus depuis longtemps ! La vie à crédit ne saurait durer éternellement. Un jour, il faut passer à la caisse !

A dire vrai, une dette n’est pas un problème en soi, dès lors qu’elle est mise au service d’un investissement productif, c’est-à-dire tournée vers la génération de futures richesses – ou de dépenses moindres. C’est le cas, à notre modeste échelle de citoyen, quand nous empruntons à la banque pour acheter notre logement (à terme plus de loyer et/ou constitution d’un capital foncier) ou notre voiture (souvent nécessaire pour aller travailler). En revanche, une dette sciemment utilisée pour couvrir ses dépenses courantes, parce que l’on vit largement au-dessus de ses moyens, en dépensant plus que l’on gagne, ou, dit autrement, en consommant plus que ce que l’on produit, est non viable à terme. La gouvernance de la France au cours du dernier demi-siècle est comptable d’un crime d’Etat contre les intérêts du pays et de la nation.   

Parce que les acteurs de ce fiasco ont été élus et souvent réélus, les thuriféraires de cet indicateur dévoyé diront que la responsabilité de désastre doit être communément partagé entre tous les citoyens. Tous responsables, mes amis, et les élites non coupables bien entendu ! Il n’y a rien de plus abject que cette position en l’occurrence. Si les citoyens ont pu se réjouir de tirer un bénéfice – à court terme – dans cette course vers l’abime (35 heures payées 39, 5e semaine de congés puis congés exceptionnels etc..), c’est parce qu’ils ignoraient combien les cartes étaient truquées, via la malfaisance des discours politiques, des revendications syndicales, des intervenants économiques et de l’arrière-cour médiatique, tous bords idéologiques confondus. Parmi ceux-là, nombreux étaient au fait des choses ; certains ont préféré ne pas voir, parce qu’il en allait de leurs intérêts propres ; mais beaucoup d’autres furent simplement des sachants, des ignorants qui rapportent une vérité sans jamais l’avoir éprouvée ! Et l’on ne saurait aussi sous-estimer la culture « pas de vague » et « poussière sous le tapis » des après-moi-le-déluge !

Les débats autour du budget 2025 vous intéressent ? Parce que vous voulez savoir à quelle sauce vous serez dévoré ? Pour que vous vivez encore dans l’illusion de croire que vos fossoyeurs seront vos sauveurs ?!

Une planche de salut existe. Et il y aura d’autant plus de raisons d’être raisonnablement optimiste que vous serez nombreux à lire ce blog – et plus généralement toutes les contributions éclairantes en marge de la propagande systémique en place pour jouer du violon tandis que le navire sombre – et surtout le partager sur vos réseaux. Mais le retour au sens commun ne se fera pas sans efforts et sans larmes, il faut en être conscient.  

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