Faute de créer une richesse nationale suffisante, et rendue incapable de maîtriser des dépenses de plus en plus contraintes, notamment pour préserver le fameux modèle social né des décombres de la seconde guerre mondiale, la France vit au-dessus de ses moyens depuis un demi-siècle.
Alors, certes, comme nous l’avons vu précédemment, les gouvernances successives ont profité du fait que le thermomètre PIB soit détourné de son objet, mais la spirale mortifère du déséquilibre budgétaire chronique puise son origine dans un raisonnement qui, avec le recul, ne peut que nous laisser pantois.
- Un vieux relent de supériorité sur fond de racisme ambiant : dès les années 1970, les gouvernances occidentales ont vu, dans la nouvelle organisation du commerce mondial qu’elles appelaient de leurs vœux, la possibilité d’extraire leurs concitoyens des tâches les plus pénibles et les plus ingrates en déléguant celles-ci, à bon compte, aux populations du Tiers-Monde. Il ne leur est jamais venu à l’esprit que ces nations émergentes, alors placées en servitude, finiraient par apprendre de leurs maîtres commanditaires et venir, à terme, les concurrencer, voire leur damner le pion. Il me parait évident que ces élites d’une civilisation occidentale toujours conquérante, et anciennement coloniale, cultivaient un complexe de supériorité intellectuelle, suivant lequel le high-tec serait éternellement l’apanage de l’Homme blanc (pour faire court). Elles n’avaient pas anticipé la conséquence première d’une telle délégation : la demande des « usines du monde », en Corée et au Japon dans un premier temps, en Chine et ailleurs ensuite, de disposer des informations technologiques les plus sensibles, qu’il leur a été facile de copier, voire d’améliorer au profit de leurs économies nationales respectives. Les élites occidentales bisounours n’avaient pas plus anticipé le détournement, voire le vol pur et simple, de brevets et d’expertises spécifiques, ni compris que les grands contrats étatiques d’équipement (dans l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire ou le nucléaire par exemple) se doubleraient systématiquement d’un transfert intégral de technologies sensibles, à partir des années 2000. Ces contrats, si précieux pour assurer le remboursement des intérêts de la dette, clouaient le couvercle du cercueil productif occidental dans un marché concurrentiel devenu mondial.
- L’illusion de l’argent facile au moindre coût : la libre-circulation des capitaux a rendu possible une financiarisation exacerbée de l’économie mondiale. Ceux qui auront lu mon livre se rappelleront mon opinion sur les raisons qui, au-delà de la cupidité spéculative et des besoins de se générer une richesse personnelle à la Picsou, ont réellement motivé et accéléré un tel phénomène. Les valeurs boursières, originellement corrélées aux actifs des sociétés (infrastructures, matériels, potentiel de la main d’œuvre, brevets industriels et carnets de commande…), se sont progressivement déconnectées de l’économie réelle, créant des bulles d’enrichissement d’autant plus facilement que les planches à billet tournaient à plein pour soutenir l’activité marchande, c’est-à-dire la consommation, ce Graal de l’indice PIB. Après l’abandon de l’étalon-or, tout semblait d’autant plus permis que l’économie américaine pouvait compter sur la Guerre froide, puis les conflits que Washington suscitait à travers la planète, pour faire tourner son complexe militaro-industriel à bloc. Les Etats-Unis d’Amérique finançaient leur hégémonie en creusant une dette abyssale sans que cela ne leur coûte réellement, puisque le dollar, valeur refuge des économies développées, était gratuit. L’exemple américain ne pouvait que devenir contagieux, notamment dans une Europe que ses élites fédéralistes rêvaient comme les nouveaux Etats-Unis. Sauf que l’euro n’est pas le dollar et qu’il n’est pas défendu par le même principe de l’extra-territorialité, lequel devrait faire bondir toute gouvernance un tant soit peu soucieuse de la souveraineté de son pays. Cette financiarisation de l’économie nationale a fait le jeu du secteur bancaire bien évidemment, mais aussi celui du monde des assurances et du courtage et, très vite, des fonds de pension. Le renard était dans le poulailler. Devinez qui allait y laisser ses plumes !
- La spirale de la dette : l’inflation est un phénomène qui va de pair avec le développement de toute économie florissante, dès lors qu’elle est maîtrisée. Une entreprise, qui fait plus de bénéfices d’une année sur l’autre, sera mise en demeure de revaloriser les salaires sous peine de mouvement social. Rien de plus normal. Ce faisant, elle reportera le surcoût de sa masse salariale sur le prix des produits qu’elle commercialise. Là encore, ce n’est que logique (économique) et bon sens commun. Bien évidemment, les partenaires manufacturiers qui lui procurent ses matières premières font de même ; l’effet boule de neige est enclenché. La conséquence de ce mécanisme est que la valeur intrinsèque de l’argent est volatile. Le pouvoir d’achat, nouveau totem des sociétés consuméristes, n’est plus préservé. Aujourd’hui, un billet de dix euros* ne vous permet plus d’acheter la même quantité de pain, à qualité équivalente, qu’il y a cinq ans. En termes de pouvoir d’achat, pour un particulier, et de budget, pour un pays, dépenser autant sans pouvoir rentrer plus d’argent (par les taxes ou un surcroit de production de richesse) revient alors à s’endetter. Pour peu que le crédit ne soit pas cher, en termes de taux d’intérêt, le particulier comme le pays vont privilégier la vue à court terme, parce que nos sociétés modernes fonctionnent sur la satisfaction immédiate de leurs besoins… et de leurs envies. Quand bien même chacun s’accorde à penser que les unes et les autres sont déraisonnables, car hors budget soutenable , eu égard à la richesse réellement produite puis anticipée. Pour ne pas faillir à ses obligations – et à son train de vie – le recours à l’emprunt est ainsi devenu permanent et le capital, restant dû à terme, a enflé à chaque échéance de remboursement. Sauf à réviser drastiquement son niveau de vie et sabrer dans les dépenses – à défaut de créer une importante richesse ex nihilo – cette spirale ne pouvait qu’évoluer en tornade.
- Une économie vernaculaire déconnectée de l’intérêt national : l’argent papier devenu électronique ne connait plus de frontières. Les détenteurs des obligations émises par la France sont majoritairement étrangers et les capitaux des grandes entreprises cotées en bourse sont détenus par des fonds dont la raison d’être est uniquement spéculative, visant des retours d’investissement à court terme, quitte à détruire un tissu économique local qu’elles auront vampirisé pour leur unique profit. Pour entrer de l’argent frais, dépensé avant même d’être acquis, les gouvernants n’ont pas hésité à brader les bijoux de famille – quand ils n’ont pas fomenté, en douce, des plans contre les entreprises dont l’Etat, c’est-à-dire la collectivité nationale, était actionnaire ! Dans le privé désormais, les sociétés se vendent, s’échangent et s’achètent au gré des opportunités, sans tenir compte de la casse sociale (le capitalisme paternaliste, c’est fini !), dans l’optique de satisfaire les actionnaires, d’occuper une part de marché plus grande ou de devenir « too big to fail », c’est-à-dire trop grosse pour que l’Etat – c’est-à -dire l’argent des contribuables – les laisse tomber en cas de coup dur. Rappelez-vous ce qu’il s’est produit lors de la crise dites des subprimes, avec les défaillances bancaires en cascade. Vous seul avez payé les pots cassés, via des taxes nouvelles et un surcroît de dette nationale à rembourser ; et les banques ont pu distribuer des dividendes records aux actionnaires et des primes indécentes à leurs traders deux années plus tard ! Comme si cela ne suffisait pas, la mondialisation a généré une nouvelle race de seigneur : les « grands » capitaines d’industrie (souvent une auto-proclamation bien plus qu’une réalité de compétence). Ce sont des mercenaires du CAC-40 (et autres indices boursiers) qui se soucient moins de la pérennité de l’entreprise qu’ils dirigent que des profits personnels qu’ils vont pouvoir tirer de la bête, en parfaite santé, fragile et même morte grâce aux parachutes dorés, ou golden parachute ! Leur obsession : couper dans les coûts et démanteler si possible tout ou partie de la structure de production originelle pour servir rapidement des dividendes aux grands actionnaires (et ainsi justifier en retour un salaire hallucinant accompagné de stock-options). Leur unique obsession : initier des alliances à tout va – celles-là mêmes qui font les beaux jours des banquiers d’affaires – même les plus inopérantes ou visiblement désastreuses à moyen terme, pour pouvoir réaliser un bénéfice direct, via l’acquisition à moindre coût ou la vente à bon compte de stock-options. Vous aurez compris que le tissu industriel français en sursis et les quelques « fleurons » de l’économie tertiaire n’ont plus l’intérêt de la collectivité nationale comme ligne d’horizon à long terme.
Les « politichiens » qui amusent la galerie de leurs facéties et de leurs joutes verbales disposent de leur rond de serviette aux diverses tables des oligarques, français et étrangers, et Etats souverains qui mènent la danse. L’unique feuille de route des institutions qui nous gouvernent consiste à asservir des populations occidentales appelées à se paupériser toujours plus, en devenant, à la fois, des citoyens passifs et des consommateurs captifs. Et il y a peu de chance que cela cesse, sauf à reprendre collectivement la main sur notre destin national. Je vous le dis tout de suite : ce n’est pas gagné !
PS : J’évoquais plus haut le billet de dix euros. Il se trouve que je ne vis plus trop en France désormais. Je passe sur ma terre natale une à deux fois l’an. Durant mes séjours, je fais quelques dépenses et il n’est pas rare que, pour soulager le plafond de ma carte bancaire, je paye en liquide. Premier constat : sortir un billet de 100 euros déclenche généralement une alerte en caisse et une attente interminable avant que le dit billet soit accepté. A se demander pourquoi la banque centrale imprime des papiers au-dessus de la valeur faciale de 50 euros ! Second constat : avec ces cent euros, « tu n’as rien ou plus grand-chose, coco ! » Alors avec un billet de dix, et bientôt vingt, autant dire que le rendu de monnaie est devenu quasi inexistant. Quand vous payez par carte, le phénomène passe inaperçu : l’inflation vous percute surtout via le calendrier, quand vous êtes dans le rouge le 18 au lieu du 20 du mois, puis le 15 et ainsi de suite ! Avec des billets de banque, (et d’un semestre sur l’autre me concernant) l’effet inflationniste vous met directement une sacrée tarte dans la gueule. Outre le fait que l’usage de la carte bancaire est encouragée – et rendue quasi obligatoire, tout comme la connexion à l’Internet, par les services de l’Etat – pour surveiller vos transactions en détail, le recours à ce bout de plastique pucé se veut être le moyen le plus sûr de faire de vous un consommateur privé du sens commun pour repère.
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